mardi 12 janvier 2010

Le triptyque - The triptych

Le Vent.
Phénomène naturel parfois surprenant.
En certaines contrées, meurtrier, dévastateur.
En d’autres, garant de riches récoltes, de prospérité.
Une réalité de notre monde de plus en plus incontrôlable et imprévisible.
Malgré nos technologies, notre soit disant savoir.
Patrick a beaucoup voyagé. En fait, il a déjà fait au moins une fois le tour de notre planète en kilomètres parcourus. Et partout, où qu’il soit allé, il ne s’est jamais privé d’un plaisir en particulier.

À Chicago comme en Californie, sur la Côte d’Azur ou en Asie, dans le midwest états-uniens ou les fjords du Saguenay ou ceux de l’Europe du Nord, en Australie ou bien planté au beau milieu de la savane Africaine...
Seul, les mains dans ses poches de pantalon, le visage crispé, parfois tendu, les yeux clos ou larmoyants, jamais il ne s’est empêché de marcher contre le vent.
Bravant le Tramontane, le Mistral, le Sirocco du relief algérien, affrontant le Simoun des déserts du Nevada, les violences décennales des abords australiens, ne laissant par moments qu’une infime fente entre ses paupières resserrées, comme un Cinémascope déformant la réalité, ne percevant qu’une partie de l’entourage, à travers un voile humide, tel un malvoyant, ivre du souffle rugissant dans ses oreilles.

Or, cette fois-ci ne faisait pas exception.
Sourd aux autres bruits citadins, errant sur les berges aménagées du Saint-Laurent, concentré sur le bourdonnement incessant d’une couarde bise comme musique de fond, une fois encore, il pensait.
Le sujet du jour, Philippe, croisé sur l’anneau d’entraînement du Parc des Champs de Batailles des Plaines d’Abraham par un soir de printemps. Un parmi tant d’autres lui ayant suggéré passions communes, atomes crochus et longévité. L’un de ces navires sur lesquels il se serait volontiers embarqué avec la ferme intention de ne plus jamais toucher terre.
La première fois, ils s’étaient croisés d’un regard renforcé de sourires, un bonsoir à l’issue. Comme ça. Juste pour se souligner mutuellement leurs existences.
Ils s’étaient revus. Au même endroit. Suggestion facile d’un destin relié.
Puis, ils se sont finalement parlés. Vraiment.
Le même soir, Patrick a visité son antre vivant par la même occasion leur toute première intimité.

L’appartement était tout aussi alléchant et confortable que l’homme lui-même. Contrairement à d’autres, le salon semblait en être la pièce maîtresse. Au centre, sur le plancher de bois franc aux lattes impeccables, un grand tapis indien autour duquel tout avait été disposé dans le respect rigoureux de la symétrie. Aux murs, épars, des tableaux éclairés, certains champêtres, d’autres abstraits. Çà et là, des plantes en pots et jardinières suspendues.
À peine entré, Patrick s’est amusé à imaginer les autres pièces.
Admiratif, il s’est fait silencieux pensant que tous ceux y étant passés avant lui en avaient indubitablement remarqué et noté à haute voix la perfection et l’ordre. À son hôte de percevoir ses seuls regards.
Philippe l’a conduit à travers le reste de son logis, fier, presque arrogant.
Jusqu’à la chambre.
Choc.
Le lit, du genre King, trônait en plein centre, contre le mur du fond.  Sous ses pieds, un autre tapis de laine vierge, tissé mains. Les murs bleutés étaient apaisants sous l’éclairage halogéné discret. Mais la pièce de résistance, celle qui monopolisait toute l’attention, c’était le tableau au-dessus de la tête de lit. Un triptyque peint à l’huile et signé le montrant, lui, nu comme un ver. Au centre, de face et intégral ; à droite, de dos, intégral, le visage tourné vers le peinte ; à gauche, de profil, l’emphase sciemment porté sur la parfaite rondeur des fesses, des pectoraux et le galbe des jambes. Les poses révélaient le corps parfait et finement découpé d’un homme aussi beau qu’il était sans réserve. Très narcissique, certes, mais à bien y penser, avec autant à en montrer et les moyens de le faire, qui pouvait lui en vouloir ?
Sentant bien, comme une habitude, l’effet qu’avait le tableau sur son visiteur, Philippe s’est contenté d’un sourire et d’un torse discrètement bombé.

Ils ont enfin quitté la pièce pour retourner au salon où ils ont parlé des heures durant tout en partageant une bouteille de vin rouge.
Tout de cette rencontre fortuite plaisait.
Patrick se serait même contenté, pour une fois, d’une relation sincère, même vouée à un rythme occasionnel. Des rencontres authentiques, rares et espacées vaudraient mieux que rien du tout. Une évolution laissée au libre écoulement du temps, sans heurt, sans brusquerie, mais une évolution quand même.
Tandis que cette visite s’avérait pure merveille, Philippe s’est rapproché de lui, sur le canapé. Sans un mot, le regard direct mais doux, il lui a pris la tête d’une main délicate pour la tirer contre son torse. Patrick s’est laissé glisser. Appuyé sur sa poitrine, maintenu de cette main forte et large, il pouvait déjà sentir toute la perfection peinte sur le triptyque... et a eu, là, comme ça, terriblement envie de lui faire l’amour.
Envie toutefois contrôlée, maîtrisée.
Il savait déjà bien trop l’éphémère qui aurait pu en découler.

- Philippe...

Il lui a imposé le silence d’un doigt sur ses lèvres, a quitté son siège et s’est agenouillé à ses pieds, entre ses jambes.

- Patrick... je... » Il s’est tu, a inspiré profondément et expiré d’un long soupir. « Patrick, j’ai toujours été seul. En tout cas, là, comme ça, près de toi, c’est comme si j’avais été seul toute ma vie... ».

Le poids des confidences. Le poids des mots. Le poids de la sincérité.
Philippe s’est mis à pleurer. Imperceptiblement, timidement, mais il a pleuré.
C’était plus que sûr. Cette rencontre ne se voulait pas banale.
Sans mot dire, il s’est de nouveau hissé vers Patrick jusqu’à frôler son visage, les mains appuyées sur ses cuisses. Par de furtifs attouchements, s’insinuant de l’oreille au menton, en passant par la joue, ses lèvres ont finalement touché celles, nerveuses, anxieuses, de son invité.
À tous points de vue, l’occasion fait le larron.
Ils ont, à force de caresses, de tendres bises, de langoureux baisers, leurs langues entremêlées, échoué dans le lit immense, sous le triptyque.

Au matin, lorsque Patrick a enfin refait surface, repus, heureux, allongé la tête aux pieds du plus magnifique Philippe, ses yeux se sont ouverts sur le tableau. Dans une quelconque bagarre, la literie s’était retrouvée sur le plancher. Sauf le drap-housse. Parterre, deux ou trois condoms maculés de semence.
Patrick s’est redressé prenant appui sur un coude, et a longuement comparé les impeccables formes du tableau à son modèle allongé tout près, sur le ventre, la tête tournée et blottie dans le creux du bras gauche replié.
Tant de perfection.
Pause sur les fesses. Une autre sur le bas du dos et de ses deux fossettes musclées. Puis sur les épaules, les omoplates, le bras.
Enfin son visage... aux yeux grand ouverts et sourire béat.

- T’es une vraie canaille toi » a-t-il plaisanté, pris sur le fait.

L’autre n’a rien dit. Juste son sourire et ses grands yeux.
Premier contact matinal aussi vital que tout autre critère. Avoir la vive sensation de bienvenue au réveil comme au coucher.
Philippe s’est emparé de Patrick d’une main et encore une fois, par le cou, l’a tiré contre lui.

- Qu’est-ce que tu fous là bas, si loin de moi ? Et où sont les couvertures ?

Pourquoi souligner l’évidence avec des propos aux détails redondants ?
Ils se sont embrassés.

- Bonjour... » a susurré Philippe comme un baume sur une plaie fraîche pas même guérie. « ...je t’en prie, serre-moi encore contre toi. »

Il s’est aussitôt exécuté.

- Plus fort...

Un vrai toutou.

- J’aurais jamais pensé qu’on pouvait se sentir comme ça avec un mec. » a-t-il dit. « Je savais même pas que deux mecs pouvaient véritablement faire l’amour... »

-... trois fois » ajoute-t-il en souriant généreusement.

Tel un enfant à qui on relisait le Roi Lion, Patrick s’est contenté de garder les yeux écarquillés sur le moment et sur l’homme, l’esprit alerte et prêt à tout assimiler, attentif à la voix, aux gestes, au moindre détail. Comme s’il voulait mémoriser, ne jamais oublier.
Encore une fois, à la façon de la même chanson reprise en duo avec un autre partenaire, il s’est aussitôt résigné à laisser les choses suivre leur cours, craintif qu’il ne se soit avéré, comme tant d’autres, qu’une passade et que la suite des événements se déroule sans grande surprise.
Ce matin là, ils ont flâné au lit jusqu’au coup des onze heures.
Leurs cœurs aguerris, la vie et son déroulement ne leur apparaissant plus sous le même jour, ni la même nuit, ils se sont enfin séparés, sans autre promesse que celle de garder contact.

C’est alors que l’existence moderne s’est révélée sous son vrai jour, comme elle cesse si rarement d’être. Une belle putain avare et impure.
Après plusieurs jours et nuits sans nouvelles ni retours d'appels, Patrick est retourné marcher au détour de leur chemin, sur cet anneau de gravillons des Plaines d’Abraham. Et il l’a revu.
Fort d’une nouvelle expérience et, à ses propres dires, d’une amitié aux apports essentiels, Philippe en a croisé un autre, plus jeune, plus beau, plus irrésistible.

Une fois de plus, carpe diem obligeant, s’imposant même comme leitmotiv, cette idylle recouverte d’une importance vitale l’espace d’une nuit et de quelques jours d’espoirs enhardis s’est amusée, sadique, à rejoindre les autres égarements pour engraisser son expérience, son vécu...
... et, à défaut d’avoir apporté autre chose, pour confirmer, s’il le fallait, son amour des marche contre le vent.


Parc des Champs de Bataille, Plaines d'Abraham, Québec

Battlefields Park, Plains of Abraham, Québec City


The wind.
Natural phenomenon that can sometimes be amazing.
Breathtaking.
In certain countries, bloody and destructive.
In others, guarantee of rich crops and prosperity.
An eternal reality of our more and more uncontrollable and unpredictable world.
In spite of our technologies, our so called knowledge.
Patrick travelled a lot.
In fact, he covered at least the entire globe distance wise. And everywhere he went, he never had to part with one singular particular pleasure.

In Chicago as in California, on the Côte d’Azur or in Asia, in the American Midwest or in the fjords of the Saguenay or those of northern Europe, in Australia or standing right in the middle of the African savannah…
By himself, his hands in his pockets, his face clenched, sometimes worried, his eyes shut or teary, he never passed a chance to just walk against the wind.
Any wind.
Braving the Tramontana, the Mistral, the Sirocco of the Algerian landscape, defying the Nevada desert’s Simoon, the decennial brutality of the Australian coasts, sometimes barely leaving the smallest opened crack between his tightened eyelids, like a Cinemascope transforms reality, as if he was suddenly visually impaired, perceiving only part of his surroundings to the point of almost forgetting where he was standing, he just treasured such intoxicating moments with the constant howling of the wind in his ears.

Now, on that particular day, same thing once again.
Deaf to all trivial city sounds, wondering on the St-Lawrence River’s shore, focusing on the incessant humming of a timid north wind as background music, once again, he thinks.
The day’s topic, Philip, met on the jogging ring of the Battlefield’s Park on the Plains of Abraham by a warm spring evening. One amongst so many who revived dreams of common passions and interests, even of longevity. One of those ships he would have so happily and proudly sailed away on with all and every intentions of never docking again.
The first time their looks and smiles hooked along with a “good evening” gently thrown on-the-fly, they passed by each other. Just as if they only wished to mutually signify each other’s lives.
Just like that.
They met several times after that. At the very same spot. Suggesting maybe a link, an intertwined road ahead.
And then, they finally talked. Really talked.
This time, Patrick was invited to visit Philip’s private hideaway.

The apartment was just as comfortable and inviting as was the man himself. Much unlike so many others, the living room seemed to be the focal point. In the middle, on a perfect maculate wooden floor, a huge Indian handmade rug around which all the furniture has been symmetrically placed. Scattered on the walls, discretely lighted paintings, some rural, some abstract. Here and there, potted plants on the floor or hanging from the ceiling.
Only just in and contemplating this first gorgeous room, Patrick tried to picture the rest of the apartment remaining, however appreciative, silent convinced that all the others (and they must have been pretty numerous) who came here before had most certainly noted out loud the perfection and order the place was kept in.
Philip proudly, almost arrogantly, led him through the entire place.
Up to the bedroom.
Shock.
The King bed sat in the middle leaning against the far end wall on another luxurious virgin wool rug. The bluish walls calmed and soothed under the discreet halogen lighting. But the “pièce de résistance”, that which unfailingly caught everyone’s attention was the triptych picture right over the bed’s head. A signed oil painted triptych showing Philip in all his naked splendor. In the middle, front and full; on the right, turned back, his face looking straight into the painter’s eyes ; on the left, in profile, the emphasis consciously put on the perfect curves of his muscled chest, buttocks and superb legs.
The poses revealed the perfect body of a finely sculpted man that was as gorgeous as he was unrestrained. Undoubtedly very narcissistic, but all in all, with all that flawlessness and the friend to oil paint it, who could really blame him?
Very well aware of the triptych’s impact once again, Philip just smiled and discretely yet noticeably thrust his chest.

They finally left that gorgeous room and returned to the living where they just sat and talked and opened up and revealed themselves while sipping a wonderful bottle of red wine.
All about this fortuitous encounter delighted.
For once, Patrick would have even settled for a sincere casual relationship. Authentic meetings, even scarce, were far better then none whatsoever. An evolution left to the passing of time, smoothly, non confrontational, but evolution all together.
While this visit was being a pure delight as it was, Philip got gradually closer on the couch. Then he silently took Patrick’s head with one hand and gently pulled it against his chest. Patrick did not oppose any resistance. Resting there, held by the man’s large strong yet gentle hand, he could finally feel all the perfection painted in the bedroom, on the triptych… and felt, right then and there, an instant burning desire of being his, of just staying there forever, and against all his convictions and principles, even of making passionate love with Philip.
Envies however admirably controlled, mastered.
He already knew too well the transient that would otherwise result.

- Philip...” Patrick started before he was silenced by an index gently pressed on his lips.

Philip left the couch and kneeled at his feet, between his legs.

- Patrick, I…” he hushed for a moment and took a deep breath. “Patrick, I’ve been alone for most of my life… well, actually, right here right now with you, it appears that way… here with you, I feel so much like I’ve been left alone all this time…”

The burden of confidences. The measure of words. The implications of opening up without restraint.
Philip started to cry. Imperceptibly, timidly, almost secretly, but Patrick swore he cried.
It was more then certain. This encounter was nothing like any other.
Silent again, his hands leaning on Patrick’s thighs, he pushed his face up to the point where their lips almost brushed against each other. Both could feel the warmth of the other’s breath. With surreptitious caresses, by furtive touches lurking from ear to chin, brushing against the cheeks, his lips finally touched those nervous and anxious of his guest.
In all aspects of life, opportunity often muscles itself as a leitmotiv.
By dint of caresses, tender pecks, passionate kisses, their tongues intertwined, they ended up in the King bed, right under the triptych.

In the morning, when Patrick finally emerged, happy, complete again, his head at the feet of the most magnificent Philip, he opened his eyes on the superb painting, first image of the day. In some epic scuffle, all the covers ended up on the floor. Except for the fitted sheet. Also down there were two or three used condoms filled with semen.
Leaning on one elbow, Patrick sat up and carefully compared the impeccable forms of the painting to its model lying close by on his belly, his head turned and nestled in the warmth of the crook of his left arm.
Don’t have to be an aesthete to swoon over such sculpted perfection.
Pause on the rounded bottom cheeks. Another on the lower back and the two sexiest muscle dimples. Then on the shoulders and the arm.
And finally his face… and his two wide opened eyes and his very awaken and aware smile.

- Man, Philip, you naughty boy!” he jokes, caught in the act.

He remained silent with his smile and his big staring eyes.
First morning contact as vital as all other criteria. Having the strongest feeling of being as welcome waking up as he was the night before.
Philip grabbed him once again by his neck with his strong hand and pulled him to his face.

- What are you doing way over there, so far from me? And where the hell are all the covers?

Why state the obvious with redundancies?
They kissed.

- Good morning…” whispered Philip as if he wanted to apply a balm on a fresh wound. “Please Patrick, hold me closer.”

Obedient, he immediately did.

- Closer please.

The man was really a huggable teddy bear.

- I will never thank you enough Patrick… cause I never thought I could feel this way with a man.” he said without a flinch. “I didn’t even suspect two guys could make love… really make love.”

-…several times!” Patrick added obviously satisfied.

And as a child to whom was once again read King Lion, Patrick kept staring at the situation, at the moment and the man, his mind alert and assimilating, attentive to the voice, to every detail, every movement, any gesture. Just as if he wanted to memorize it all. To never forget.
Because once again, like a song taken up again with yet another partner, Patrick immediately knew he would have to resign himself to let things take their natural unforced course too afraid that he was that Philip may just end up as ordinary, as trivial, as much a fling as others have been.
With wisdom often comes awareness and suspicion.
They laid in bed until eleven o’clock that morning.
Their hearts pounding, life itself with a totally new awesome outlook, they finally parted without any other promise then to stay in touch.

It is then that the modern existence revealed itself in its true light as it so often can’t cease to be in reality. A beautiful greedy and impure whore.
After a few days and nights without any news or call backs, Patrick returned to the very spot where they met just to walk and think as usual. The gravel ring on the Battlefield’s Park on the Plains of Abraham. And there he was. That very same man who shook his entire being.
Strengthened by yet another seduction and, in his own words, a new friendship with essential inputs, Philip went and met another, younger, certainly more handsome, more compelling.

Once again, carpe diem forcing its way in, being even the most vital reaction, this once significant idyll, even though reinforced by a whole night and a few days of emboldened hopes, sadistically had a play and rejoined all his other distractions to feed up his personal experiences…
…and failing to have brought something else, as if need was, to confirm his eternal passion for walking against the winds.

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